dimanche 21 février 2016

Loin de vous ce printemps de Mary Westmacott (alias Agatha Christie)


Le Livre de poche a eu la très bonne idée de republier les livres d'Agatha Christie parus sous le pseudonyme Mary Westmacott. Il en existe 6. Loin de vous ce printemps et L'if et la rose sont déjà disponibles. Ainsi vont les filles devrait être republié le 20 avril. Espérons que les autres suivront ! 

Loin de vous ce printemps n'a fait qu'un très court séjour dans ma PAL puisque je l'ai terminé le lendemain de mon achat.

Le titre fait référence au sonnet 98 de Shakespeare : "From you have I been absent in the spring". 

Joan Scudamore était partie à Bagdad pour rendre visite à sa fille, jeune mariée et jeune maman, qui s'était subitement sentie mal. Sur le chemin du retour, elle rencontre Blanche, une de ses anciennes amies de pensionnat. Joan trouve que la vie n'a pas été tendre avec Blanche qui semble prématurément vieillie. Lors de cette brève rencontre, elles évoquent leurs activités. Joan dit qu'elle est tellement occupée qu'elle n'a jamais le temps de s'arrêter et de ne penser à rien. Blanche lui rétorque que si on prenait vraiment le temps de réfléchir à sa vie, peut-être qu'on découvrirait des choses que l'on n'apprécierait pas. Joan poursuit son voyage pour rentrer en Angleterre. Mais, suite à des inondations exceptionnelles, elle se retrouve bloquée juste avant la frontière turque dans le petit village de Tell Abu Hamid. Elle est obligée de rester sur place et va donc se retrouver seule avec elle-même pendant quelques jours. 

Je ne savais pas trop à quoi m'attendre avant de commencer ce livre, mais ce qui est sûr, c'est que je ne m'attendais pas à ça. Les romans publiés sous le pseudonyme de Mary Westmacott sont souvent qualifiés de "romans sentimentaux" avec tout ce que cela sous-entend de péjoratif de la part de ceux qui écrivent cela. Personnellement, comme les romances ne me dérangent pas, je me suis laissée tenter. Mais, Loin de vous ce printemps n'a strictement rien d'une romance. C'est plus un drame psychologique et on referme le livre le coeur serré. 

Joan se retrouve donc seule avec ses pensées. Au départ, elle essaye de lire The Power House de John Buchan mais rapidement ses souvenirs la rattrapent. Blanche lui a fait quelques allusions à peine voilées sur la « maladie » de sa fille et sur son mariage qui bat de l’aile alors que Joan n’a pas eu cette impression lors de sa visite. Mais elle commence à se rappeler des conversations qu’elle n’a pas comprises sur le moment. Joan s’interroge : a-t-elle manqué quelque chose ? Blanche lui a aussi lancé une petite pique sur la « fidélité » de son mari. Joan est sûre qu’il lui a été fidèle mais d’autres souvenirs reviennent et Joan se pose de plus en plus de questions.

Ce qui est très réussi dans le livre, c'est que Joan ne comprend pas tout d’un coup. Elle a gardé des œillères pendant toute sa vie, tout ne peut donc pas s’éclairer tout de suite. Mais nous, au travers de son récit, nous voyons les failles, nous voyons  ce qui ne colle pas, nous comprenons ce qu’elle n’ose pas comprendre. Joan se révèle être une femme égocentrique. Elle pense tellement que tout va bien qu’elle ne voit pas qu’elle blesse ceux qui vivent autour d’elle. Au fur et à mesure de ces jours passés seule, Joan va déciller. Même si ce n’est pas un livre policier, il y a une certaine tension car on se demande ce qu’il va arriver à Joan : va-t-elle enfin comprendre ce qu’elle n’a jamais saisi ? Va-t-elle changer ? Ou bien même va-t-elle devenir folle perdue seule au milieu du désert ?

Je crois que ce type de livres sur le temps qui passe, les regrets, les choses que l’on n’a pas faites… est  vraiment le genre que je préfère. J’ai beaucoup pensé à Zweig en lisant ce livre, pas au niveau du style (de toute manière c’est une traduction) mais au niveau des thématiques : l’héroïne effectue  un retour sur elle-même et se rend compte qu’elle est peut-être passée à côté de sa vie, que les membres de sa famille sont pour elle des inconnus. C’est très beau mais très cruel car Joan les aime même si elle les aime mal. C’est très triste de réaliser qu’on peut aimer quelqu’un et en même temps ne jamais comprendre la personne et même ne pas s’apercevoir qu’elle ne vous aime pas.

La chute de cet ouvrage est ce qu’elle devait être ; elle est à la hauteur de tout le reste. On découvre dans un épilogue les pensées de son mari. Cela permet de voir les choses un tout petit peu différemment et de revenir peut-être aussi un peu sur la façon dont on a perçu Joan.



Comme souvent pour les livres que j'ai trop aimés, j'ai l'impression de ne pas avoir évoqué tout ce que j'aurais dû (la façon dont l'oeuvre de Shakespeare rythme la lecture par exemple). Ce fut en tout cas un véritable coup de coeur pour moi et j'espère que certains d'entre-vous se laisseront tenter par cette autre facette de la reine du crime. 

Participation au challenge A year in England 




14 commentaires:

  1. En lisant ta chronique, je ne soupçonnais pas du tout que ce genre d'histoire se cachait derrière ce titre ! Mais il m'intrigue encore plus ^^

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    1. Oui ce n'est pas l'image qu'on en a. J'ai lu sur le net que ce roman était un de ceux dont Agatha Christie était la plus fière. Franchement, je comprends pourquoi. J'espère que tu tomberas enfin dessus en librairie !

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  2. Ce livre traîne dans ma PAL depuis trop longtemps, tu donnes très envie de le découvrir ! Et je suis ravie de savoir que le Livre de poche va poursuivre la réédition des autres titres, j'avais repéré L'if et la rose mais je ne savais pas pour les suivants.

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    1. J'espère qu'il te plaira autant qu'à moi !
      Le suivant est annoncé sur les sites de vente mais pas encore confirmé sur le site du livre de poche. Je guette !

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  3. Ton billet me donne vraiment très envie de découvrir cette autre facette d'Agatha Christie. Je pensais effectivement que les livres de Mary Westmacott étaient des bluettes sans grand intérêt. C'est vraiment une belle initiative de les republier.

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    1. Je ne comprends pas cette réputation ! Franchement, cela n'a rien à voir. Mais cela explique aussi qu'ils soient peu connus. J'imagine la déception de ceux qui attendaient une histoire à l'eau de rose !

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  4. Je ne pensais pas (re)lire Agatha Christie un jour, étant assez réfractaire au roman policier, il se pourrait que je change d'avis grâce à toi et ces rééditions. Tes références à Zweig, ce que tu expliques de ce roman psychologique et ta mention de Shakespeare qui rythme le texte sont convaincants, tu parles certainement mieux que tu ne le penses/dis de ce roman.

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    1. Merci beaucoup pour ton avis, ça me fait plaisir. j'ai eu beaucoup de mal à écrire ce billet (alors que d'habitude, j'ai tendance à les rédiger d'une seule traite), c'est pour cela que je n'étais pas sûre d'avoir réussi à en parler aussi bien que je l'aurais voulu. Mais si je t'ai convaincu, je suis contente !

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  5. Merci de signaler la sortie poche. Je ne suis pas sûre que le genre psychologique soit celui que je préfère mais tu as réussi à piquer ma curiosité... J'en tenterai au moins un

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    1. Celui-ci est meilleur que l'if et la rose, même si j'ai aimé certains passages aussi.

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  6. Il me le faut :-) !!
    Sinon, j'ai lu "Dix petits nègres" ces derniers jours et j'ai été emballée (même si j'ai été trop flemmarde pour faire un billet :-) ). Je pensais en connaitre l'histoire mais apparemment, j'avais tout oublié et j'ai trouvé cette énigme troublante et très culottée. En plus, j'ai réussi à mettre la main sur le traducteur que tu conseillais !

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    1. Contente pour Dix petits nègres. Il faut que tu voies l'adaptation de la BBC. Je suis ravie que Loin de vous ce printemps t'ait plu !

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  7. Réponses
    1. C'est vraiment un énorme coup de coeur, je l'ai même offert à une de mes amies.

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