
Tout le monde sait que l’on connaît très peu d’éléments historiques sur Shakespeare. Peter Ackroyd a donc englobé un horizon beaucoup plus vaste et nous présente tout d’abord la vie d’un petit village du centre de l’Angleterre (Stratford-upon-Avon), pour passer ensuite au portrait de la vie théâtrale à Londres aux époques élisabéthaine et jacobéenne. Celui qui s’attend à une simple vie de Shakespeare sera sans doute déçu et noyé sous les faits corollaires. Ce n’est pas non plus une analyse textuelle. Si Ackroyd évoque bien évidemment les pièces et les replace dans leur contexte, il n’en fait pas une étude littéraire.
En clair, il vaut mieux ne pas être allergique à l’histoire
si vous comptez lire cette biographie.
Mais, si vous voulez avoir une compréhension globale de la
période, elle me semble être un incontournable. D’une érudition sans faille, je
l’ai trouvée assez simple d’accès (je connais toutefois bien la période
historique concernée).
Elle a le léger défaut des biographies anglaises :
l’intervention de l’auteur dans ce qu’il écrit. J’ai plutôt apprécié ce fait
quand il nous donne les différentes hypothèses autour d’une problématique (par
exemple sur la question de la religion de Shakespeare, l’auteur nous présente
les arguments des défenseurs de l’hypothèse catholique, même s’il ne semble pas
convaincu par celle-ci). Par contre, j’aime un peu moins quand l’auteur prend
position sur sa conviction intime. Par exemple, Peter Ackroyd est convaincu que
les premières versions des pièces que l’on a trouvées et qui datent des Lost
Years ont été écrites par Shakespeare et qu’il les a ensuite lui-même
remaniées. Même s’il m’a convaincu, j’aurais aimé qu’il soit un peu moins
catégorique et qu’il présente davantage les autres hypothèses comme il le fait
sur la plus grande majorité des sujets.
Autre petit reproche, l’auteur répète certains éléments à
plusieurs reprises. Mais, c’est sans doute parce que la biographie n’a pas pour
vocation d’être lue d’une traite comme je l’ai fait. Ces répétitions sont nécessaires
car elle est conçue pour qu’on en relise certains passages.
Dernière chose qui n’est pas du fait de l’auteur, le texte
est parsemé de coquilles, de fautes d’orthographe et même de fautes de sens
(confusion entre Samuel Johnson et Ben Jonson, qui n’aurait pas dû être, vu la
tournure de la phrase).
Mais, à part ces légers défauts, le nombre d’éléments que
j’ai appris grâce à ce livre est faramineux.
Je ne vais pas tous les lister (j’ai pris quatre pages de
notes sur l’ordi et je n’ai noté que le minimum), je vais tout simplement
souligner les aspects qui m’ont le plus plu.
Dans la partie sur Stratford-upon-Avon, j’ai adoré être
plongée en immersion dans la vie de cette petite ville à l’époque de Shakespeare,
apprenant même jusque aux noms de ses voisins. On y découvre les problèmes liés
aux terres et aux habitations, les fonctions politiques (puisque le père de
Shakespeare est un élu de la ville), les règles religieuses (puisque on fait la
chasse aux catholiques, en particulier ceux qui n’assistent pas aux offices,
comme c’est le cas du père de Shakespeare), les principes d’éducation et ceux
des alliances matrimoniales.
Dans la partie londonienne, j’ai adoré suivre la vie des
théâtres. On assiste à la construction (voire à la destruction) du Theatre, du Curtain,
du Rose et du Globe. On suit les remaniements des troupes de théâtre. On
découvre dans les plus grands acteurs de l’époque (Richard Burbage, Edward Alleyn, Will Kempe). On entre dans la
vie d’une troupe : les fermetures des théâtres, les tournées, le rythme
infernal (ils jouent des pièces différentes pendant la même semaine). Les
autres grands auteurs élisabéthains sont évoqués : Christopher Marlowe, Thomas
Kyd, Ben Jonson… C’est le début de la reconnaissance des auteurs en tant que
tels (auparavant ils étaient vus comme de simples scrivaillons au service d’une
troupe). C’est aussi l’essor des théâtres publics (ce qui ne s’oppose pas complètement
aux théâtres privés puisqu’à la fin la troupe des Comédiens du Roi à laquelle
appartient Shakespeare investira dans un théâtre privé à Blackfriars, en plus
du Globe).
On comprend comment le théâtre était interprété à l’époque
avec son jeu outrancier, ses effets comiques appuyés, ses chansons, ses masques
et ses gigues terminant chaque pièce. Paradoxalement, ce théâtre que j’aime
tant ne m’aurait peut-être pas plu si je l’avais vu joué à l’époque (par exemple
Iago était joué par le comique de la troupe !).
Peter Ackroyd replace les événements dans le contexte
général. Par exemple, la fameuse tentative de soulèvement du comte d’Essex ou
bien encore la conspiration des poudres avec Guy Fawkes et Robert Catesby (que
je ne plaçais pas du tout là - Remember, remember the Fifth of November !)
Au final, quel portrait de Shakespeare se dessine ?
Celui d’un personnage pragmatique avant tout. Il s’inspire
de ce qui fonctionne pour écrire des pièces (voire même il recopie certains
passages). Si c’est la mode des pièces historiques, il écrit des pièces
historiques, si c’est celle des comédies, il écrit des comédies… C’est un grand
lecteur qui trouve l’inspiration dans les auteurs classiques (Ovide) mais aussi
dans les chroniques historiques comme celle d’Holinshed. Il sait plus que tout s’imprégner
des sujets qui lui plaisent et leur apposer sa marque.
Il est aussi pragmatique en affaires et investit énormément
dont les terres et les maisons. Il est très fidèle en amitié, puisque il
restera quasiment tout le temps avec le même groupe d’acteurs et certains
apparaîtront sur son testament.
En quelques mots : C’est un ouvrage à lire absolument pour
tout passionné de Shakespeare et de la période élisabéthaine. Je compte d’ailleurs
en relire certains passages ultérieurement.