Mon avis : Persuasion est souvent cité comme l'ouvrage préféré de nombreuses janéites. Je l'avais lu il y a quelques années et , même si je l'avais apprécié, je n'en avais pas gardé autant de souvenirs que d'Orgueil et Préjugés, de Raison et Sentiments ou d'Emma. Aussi me demandé-je : suis-je passée à côté de ce roman ? Et je me suis plongée dans une relecture.
Première réflexion, la traduction me pose problème. Je n'ai jamais rien eu à reprocher à 10/18 (à part le fait de changer les couvertures des séries que je suis depuis des années), mais là, j'ai tiqué à plusieurs reprises. Et je l'avais d'ailleurs déjà fait lors de ma première lecture, puisque j'ai retrouvé des points d'interrogation songeurs dans les marges du livre.
"S'il était un peu gâté par une admiration universelle si empressée, le moyen de s'en étonner?" ou bien encore "(...) le sentiment de supériorité des demoiselles Musgrove se bornait au plaisir qu'elles avaient d'affiner leurs cousins"Sachant que le style de Jane Austen est d'une simplicité charmante en anglais, on se retrouve ici avec des phrases ampoulées, lourdes et face à un vocabulaire désuet (on peut écrire affiner quelqu'un en vieux français, mais même dans les dictionnaires d'époque, il est écrit que c'est peu usité). Sans compter une grossière erreur où l'on emploie Mrs Croft au lieu de Mrs Clay, pourtant les deux femmes n'ont rien en commun pour qui a pris le temps de s'intéresser à l'histoire (mais justement le traducteur s'est-il intéressé à l'histoire? Après, on ne peut l'en blâmer : traduire, c'est son métier, il n'est pas forcé de s'identifier à tous les livres). En résumé, j'aurais dû le lire en version originale.
La traduction, mise à part, j'ai aussi beaucoup moins aimé les personnages secondaires que dans les autres romans. Sir Walter Elliot et Elizabeth sont assez insupportables. Ils sont certes décrits avec beaucoup d'ironie de la part de Jane Austen, mais c'était le cas pour un Mr Bennet par exemple, qui n'était pas exempt de défauts, or il nous était rendu sympathique par son humour désabusé. Si Mrs Bennet est, elle aussi insupportable, on ne peut pas lui reprocher d'avoir toujours en tête l'intérêt des ses filles. Ici, Sir Walter Elliot et Elizabeth sont justes deux purs égoïstes qui délaissent la douce Anne au profit de l'arriviste Mrs Clay.
Même Lady Russell ne trouve pas grâce à mes yeux. Je la trouve trop séduite par le titre de baronnet et la position sociale des Elliot. Elle se laisse aussi éblouir par les bonnes manières d'un Mr Elliot ou l'apparence inoffensive d'une Mrs Clay et ne fait pas confiance à Anne quand celle-ci tente de l'éclairer sur les uns ou les autres. On ne peut pas vraiment lui reprocher d'avoir mal conseillée Anne au sujet de ses fiançailles, car cela aurait été en effet à cette époque une mésalliance pour Anne que d'épouser un Wentworth sans fortune.
Encore heureux, il existe les Harville et les Croft, qui apportent un peu de réconfort à Anne. Et j'ai beaucoup aimé Charles Musgrove qui tente par l'humour (par l'indifférence aussi parfois) de supporter son mariage.
Mais les deux personnages qui font de Persuasion, un roman précieux sont évidemment Frederick et Anne.
J'aime Frederick Wentworth. Qui ne l'aimerait pas? Il est l'opposé d'un Darcy puisque lui laisse échapper ses sentiments (parfois malgré lui). Il est émouvant quand il commence ses phrases sans savoir comment les terminer, se rendant compte qu'il s'est laissé emporter par sa passion. Je ne voue pas un culte particulier à sa lettre que je trouve trop courte (je sais, il la rédige en hâte, mais j'aurais aimé quelle soit plus longue). Et, j'en reviens à la traduction, si la première partie de la lettre me fait autant d'effet en français qu'en anglais (parce que quand même, on ne peut rester de glace!), je trouve la deuxième partie beaucoup plus émouvante en anglais. [Mais, mon côté cynique me souffle quand même que c'est trop beau pour être vrai. Il est si gentil, si prévenant avec tout le monde (ce qu'il fait pour Benwick par exemple) sans être pour autant mièvre, que je ne peux pas m'empêcher de penser qu'un tel spécimen n'existe pas dans la vraie vie.]
Et enfin Anne. Elle est à la seule à ne pas se laisser séduire par une première impression. Elle voit clair dans le jeu de tout le monde. Mais sa douceur l'empêche parfois de s'affirmer et elle est souvent (toujours?) mise à l'écart par sa famille. Ce personnage me plonge dans un état de mélancolie certain. Je l'aime trop pour ne pas être peinée quand sa famille la délaisse. C'est aussi pour cette souffrance que Persuasion n'est pas l'un de mes favoris.
En quelques mots : une histoire d'amour portée par deux personnages principaux adorables et une mélancolie certaine, mais pas mon ouvrage préféré de l'auteur.
Un billet de plus pour le challenge austenien d'Alice.